Il y a 50 ans aujourd'hui, le 24 octobre 1971, Jo Siffert a trouvé la mort dans une course de Formule 1 hors championnat du monde à Brands Hatch. Trois témoins contemporains évoquent des souvenirs de l'inoubliable « Seppi ».
Adriano Cimarosti (84), Heini Mader (85) et Jacques Deschenaux (75) n'ont tous les trois pas seulement accompagné Jo Siffert pendant des années, ils ont aussi partagé avec lui de nombreuses aventures. Il y a dix ans déjà, ils m'avaient décrit leurs souvenirs qui sont encore très vifs à l'heure actuelle. Il est donc grand temps de consulter à nouveau le carnet de notes de l'époque.
Cimarosti, Mader et Deschenaux ont rencontré Siffert pour la première fois en 1961 et 1962 respectivement. Ce Fribourgeois turbulant a laissé une impression durable aux trois. «J'ai vu Jo en direct pour la première fois en 1961 à Monaco», raconte le journaliste spécialiste du sport automobile Cimarosti. «Il courait en Formule Junior à l'époque et dormait avec ses gars dans un parking souterrain – entre des boîtes à sardines et des matelas pneumatiques.»
Le gourou des moteurs Mader a lui aussi rencontré Siffert pour la première fois à l’étranger: lors d'une course à Naples. «J'étais sur place à l'époque avec la Scuderia Filipinetti et je m'occupais de la voiture de Heinz Schiller. Seppi est arrivé trop tard pour la course et ne s'est donc pas qualifié...»
Deschenaux, qui avait 17 ans à l'époque, a rencontré Siffert alors qu'il travaillait comme correspondant pour la «Tribune de Genève». «Nous sommes allés ensemble à la course de côte d'Ollon-Villars. Il est monté la piste comme un fou, ce qui m'a donné presque la nausée.»
Tous trois gardent un excellent souvenir des talents d'improvisation de Siffert. «Il avait pour devise: les obstacles sont là pour être surmontés», dit Cimarosti et d'ajouter: «Seppi avait un don. Il harcelait inlassablement les gens jusqu'à obtenir d’eux ce qu'il voulait. De plus, il ne rechignait devant aucune tâche. Quand il était jeune, il gagnait son argent comme chiffonnier. À 16 ans, il a commencé faire le commerce de voitures. Il les déplaçait certes du point A au point B sans permis de conduire, mais c’est une autre histoire.»
Mader évoque lui aussi les talents d'improvisation de Siffert. À partir de 1962, il travaillait comme mécanicien aux côtés de Seppi. «Pour moi, le passage de la Scuderia Filipinetti à Siffert, c’était comme passer d'une grande banque à un bureau de change. En semaine, Siffert vendait des voitures. Avec l'argent ainsi gagné, nous allions ensuite aux courses le week-end. Nous avions rarement du bon matériel. Nos boîtes de vitesses ont rendu l’âme les unes après les autres.»
Deschenaux a également expérimenté directement le sens des affaires et les compétences de survie de Siffert. «Un jour, il nous a fallu plus de neuf heures pour aller d'Ollon à Mouret, où il habitait. Seppi s'est arrêté partout pour faire des affaires. Et moi, j'étais assis bêtement dans la voiture à me tourner les pouces...»
Malgré ses moyens modestes, Siffert a toujours réussi à remporter de grands succès. En 1964, il a battu par exemple la superstar Jim Clark par une marge infime lors d'un photo finish dramatique au Grand Prix de Sicile. Il a ensuite connu l'un de ses plus grands succès en 1968 dans l'équipe Rob Walker Racing. Siffert a remporté le Grand Prix de Grande-Bretagne dans une Lotus 49B. Trois ans plus tard, il a célébré sa deuxième (et dernière) victoire en GP en Autriche sur une BRM. Parallèlement, Siffert a remporté de nombreuses courses de voitures de sport au service de Porsche, notamment la course de 12 heures à Sebring en 1968 avec Hans Herrmann ou la Targa Florio de 1970 avec Brian Redman.
Le 24 octobre 1971, Siffert a pris le départ d'une course de Formule 1 sans statut de championnat du monde à Brands Hatch. Au 15e tour, la suspension de sa BRM s'est cassée. La voiture de Siffert a heurté un mur de terre, s'est retournée et a pris feu. Pour Siffert, les secours sont malheureusement arrivés trop tard.
Aujourd'hui encore, Mader n’aime pas qu’on lui rappelle ce dimanche noir. «C'est un sujet hautement émotionnel pour moi.» Cimarosti confirme: «C'était le pire moment de ma carrière de journaliste de sport automobile.» «Cima» ne l'a appris que le lendemain. «Quand Seppi a eu son accident, j'étais en voyage privé. Ignorant tout ce qui s'était passé, je me rendais à la rédaction lundi lorsque j'ai lu les manchettes des journaux au kiosque: «Voici comment est mort Jo Siffert!» «Je suis tombé des nues.» Deschenaux était également consterné. «J'étais à Berne ce dimanche. J'ai rencontré une connaissance à la gare Centrale. Il m'a lancé: tu sais la dernière de Siffert? J'ai dit: il a probablement gagné. Il était en pole position. Alors la connaissance a répondu: Non, Siffert est mort!